La barbe ne fait pas le philosophe... le corps de la mode, si!

Author: Mikayla Pedley

Quand on regarde un défilé ou une affiche de mode et qu'on prête attention, non pas à l'habit, mais au corps qui le porte et le présente, on est toujours surpris par le caractère ambigu qui en émane : le corps est sublimé, mais il semble en même temps renié – pour une seule et même raison d'ailleurs : idéalisé, inhumainement parfait, le corps devient pur décor – dé-corps, il s'abolit lui-même. « Un des paradoxes de la mode s'énonce comme suit : la mise en valeur, en gloire, du corps aboutit à son absentification, à son immatérialisation », résume la philosophe Véronique Bergen dans son livre Le corps glorieux de la top-modèle.

INTERPRÈTE DU BEAU, DE LA SÉDUCTION, DE L'ELÉGANCE

Face à ces corps, valorisés de telle sorte qu'ils en deviennent simples faire-valoir, on est alors un peu dans la situation de Descartes regardant par la

fenêtre les passants se presser dans la rue : est-on encore tout à fait sûr que, derrière l'image de papier glacé, des êtres humains « en chair et en os » existent bel et bien...? : « si par hasard je regardais d'une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes (...) ; et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts? » Les mannequins semblent donc bien porter leur nom, lequel désignait à l'origine des figurines en bois inanimées et articulées auxquelles on donnait les poses souhaitées. Véronique Bergen parle de « leur fonction d'interprètes-ventriloques du Beau, de la Séduction, de l'Elégance. »

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UNE FEMME PLUS FEMME QUE LES FEMMES

Pourtant il serait injuste de conclure à partir de cela que la mode est la plus grande contemptrice du corps qui soit. D'abord, le corps est le point de départ de l'inspiration du styliste, les designers de mode sont les premiers à en louerl'importance concrète et à en célébrer le rôle de muse. Ainsi en témoigne le créateur Paul Poiret : « Le mot est très mal choisi. Le mannequin n'est pas cet instrument de bois, dépourvu de tête et de cœur sur quoi on accroche les robes comme sur un portemanteau. Le mannequin vivant qui a été créé par le grand Worth, premier du nom, initiateur de l'industrie de la grande couture, prouve bien que le mannequin de bois ne répondait pas à ses besoins. Le mannequin vivant, c'est une femme qui doit être plus femme que les femmes. Elle doit réagir sous un modèle, aller au-devant de l'idée qui prend naissance à même ses formes, etaider par ses gestes et ses attitudes, par toute l'expression de son corps, à la genèse laborieuse de la trouvaille » (En habillant l'époque). Ou encore Yves-Saint-Laurent : « On n'imagine pas les rapports personnels entre un couturier et un mannequin. Elles sentent quand l'imagination travaille, elles éprouvent de l'orgueil à ce que leur corps, leurs gestes, leurs apparences, provoquent chez moi cette intuition créatrice. » (Interview dans Elle, 1980).

L'HOMME EST UN ANIMAL QUI S'HABILLE

Et puis, de façon encore plus triviale, la mode est ce qui donne corps... à nos corps! L'homme est un « animal qui s'habille », aurait pu écrire Aristote à côté de ses célèbres définitions de l'homme comme zoon logikon (« animal qui pense ») et zoon politikon (« animal politique »). Mal équipé par la nature, sans plumes, ni écailles, ni fourrures intégrées, l'homme ne survivrait pas tout nu : il a besoin de sevêtir. A cette nécessité du vêtement, la mode ajoute la possibilité de s'y plier en beauté, et aussi d'exprimer un style, une personnalité. « Dès lors que l'on déjoue ce schéma prégnant dans l'histoire de la métaphysique, que l'on s'émancipe de la dualité être/paraître, (...) la mode devient un lieu où s'expérimentent les puissances de la liberté », conclut ainsi Véronique Bergen. Le corps de la mode : du décor à l'accord, du dé-corps à l'à-corps.

Source de www.jadorerobe.fr